ITINÉRAIRE
Le glaneur du Chemin des Dames
2001, année de mon retour sur des champs de bataille de la Grande Guerre ; et de mon rendez-vous avec le Chemin des Dames. Ressurgissent alors ces violentes émotions qui dès l’enfance, lors de lectures de témoignages, de visionnages de scènes de chaos, de corps démembrés, devaient me marquer à jamais.
Le Chemin des Dames m’est apparu symbolique de la Grande Guerre : stabilisation du front, effroyable offensive Nivelle du 16 avril 1917, refus d’obéissance (mutineries), attaques sectorisées, gains et pertes de terrain, et tant d’hommes de plus de trente nationalités qui s’y sont affrontés.
À cette même période j’aspirais à entreprendre un travail de création. Mais seul un thème essentiel devait justifier mon engagement artistique. Ce n’est qu’au terme de quatre années de séjours réguliers, d’introspection, que je décidais d’exprimer mon émotion pour ce lieu, pour l’histoire.
Depuis lors je vis avec cet impérieuse nécessité de m’y poser régulièrement.
Désir d’aller à la rencontre de ceux qui y vivent. Échanger avec les agriculteurs qui cultivent cette terre - mes complices involontaires - qui, par leur travail, me permettent d’arpenter inlassablement les parcelles labourées, saturées éclats d’obus emprisonnés dans leur gangue de rouille, de terre couleur Sienne, terre de l’Aisne. Vestiges d’une violence inouïe, stigmates de la formidable canonnade. Ne jamais fouiller, ne jamais violer le sol, mais simplement glaner ces fragments d’acier, de cuivre, de plomb qui sans cesse me questionnent lorsque je les assemble : quelle a été leur histoire dévastatrice ?
C’est aussi peindre cet horizon énigmatique, cette crête qui s’étire d’est en ouest, théâtre de l’indicible. Lieu de souffrance, de courage, de peur, de colère, de mort.
Mais aussi me perdre dans le brouillard, m’asseoir dans les labours, réfléchir, ressentir, me laisser absorber par le terrain. Comment ne pas penser à ces générations meurtries, à ces gosses sacrifiés, à leurs familles. Surtout, ne pas oublier. C’est au Chemin des Dames, et c’est ailleurs. Plus d’un siècle déjà ; ce matin à l’échelle de l’inhumanité.
Accompagnant bénévole en soins palliatifs depuis 2003 je côtoie parfois des personnes atteintes de tumeurs particulièrement mutilantes. Je ne peux qu’associer leurs visages meurtris à ceux des soldats blessés, à ces “Gueules Cassées” ; hommes éprouvés par la souffrance, la détresse, rejetés par la société, étrangers à leurs familles plongées dans une telle confusion. Je pense à eux qui ont essayé de se reconstruire, autrement. Je pense à ces personnels soignants qui, surmontant leur profond désarroi face à l’horreur inédite, ont innové, entre autres pour la reconstruction faciale ; des femmes et des hommes présents, au service de l’Autre.
De l’utilisation de ces matériaux, il m’est apparu manifeste qu’une part du fruit de mon travail soit consacrée à accompagner la vie, et versée à Être-là Grand Paris (Accompagner en Soins Palliatifs).
François Mayu
J’ai l’honneur d’avoir été agréé en 2022 Peintre de l’Armée de Terre.